TEMOIGNAGES. L'enfer du revenge porn : "On se sent trahie, on se sent sale", des photos "nudes" et sextapes diffusées sans consentement

Ex-conjoint revanchard ou maître-chanteur anonyme, chaque année, des milliers de personnes sont victimes de "revenge porn", c'est à dire la divulgation de leurs photos et vidéos à caractère sexuel sans leur consentement. Une pratique punie par la loi, et un important traumatisme pour les victimes.

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Les faits remontent à plus de six ans, mais Laetitia* s'en souvient comme si c'était hier. "Je me rends au lycée, comme tous les matins, et une copine me prend à part pour me montrer des messages que son frère avait reçus la veille."

Sur le téléphone, Laetitia découvre des photos et vidéos d'elle capturées dans l'intimité. "Il y avait celles que j'avais prises moi-même face à mon miroir. Des photos où je suis en lingerie principalement. Et puis il y avait deux vidéos de moi entièrement nue, l'une en train de faire une sorte de strip-tease, et l'autre une fellation."

Ces images, Laetitia ne les avaient partagées qu'avec une seule personne : son ex-petit ami, avec lequel elle n'a alors plus de contact depuis deux semaines. Pour l'adolescente, en terminale générale et âgée de 17 ans, c'est tout son monde qui s'écroule.

"Au début, ma copine a essayé de me rassurer, m'a dit que peut-être il ne l'avait envoyé qu'à son frère, comme ils sont amis. Mais rien que cette matinée-là, j'ai commencé à sentir les regards sur moi, à entendre les gens chuchoter. Et puis j'ai commencé à surprendre des gens regarder les vidéos entre eux et se moquer dans les couloirs."

Je suis rentrée chez moi le soir, et je me suis dit que je ne pouvais plus jamais retourner au lycée, que ma vie sociale était terminée.

Laetitia, victime de "revenge porn"

De tempérament timide, et peu encline à baigner dans la lumière, l'adolescente devient en quelques heures bien malgré elle le centre de toutes les discussions de son établissement, au gré du partage rapide de ses instants privés. "Je suis rentrée chez moi le soir, et je me suis dit que je ne pouvais plus jamais retourner au lycée, que ma vie sociale était terminée. Je ne pouvais plus m'arrêter de pleurer. Mon ex-petit copain, lui, m'avait bloqué de partout, et je ne voulais pas avoir à contacter ses amis. J'étais tout simplement bloquée."

Pour Faustine*, c'est arrivé un peu plus tard, quand elle avait 26 ans. Nous sommes en 2016, et cette Bastiaise, en couple depuis plusieurs années avec un habitant de Calvi, reçoit un jour une demande de contact sur l'application Messenger d'un homme qu'elle ne connaît pas. 

En pièces jointes, des photos d'elle dénudée, pourtant destinées à rester dans "l'intimité du couple". Et pour les accompagner, un message dont elle ne se souvient "plus exactement" du contenu, mais lui laissant entendre que ces images pourraient rapidement se retrouver postées sur les réseaux sociaux.

Je n'avais jamais pris des photos de moi comme ça avant cette relation, et on voyait bien ma tête dessus.

Faustine, victime de "revenge porn"

"J'avais une trouille terrible. Je me demandais qui cela pouvait être, comment il me connaissait, et ce qu'il allait faire des photos. Je n'avais jamais pris des photos de moi comme ça avant cette relation, et on voyait bien ma tête dessus."

Paniquée, la jeune femme ne répond pas au message, et contacte immédiatement son compagnon. Sans prendre le temps de calmer ses inquiétudes, ce dernier lui fait savoir qu'il s'agit sûrement d'un piratage de son compte. 

Une explication dont elle n'est aujourd'hui plus totalement convaincue. "Sur le coup, j'ai voulu le croire. Mais avec le temps, et après notre séparation, j'ai commencé à sérieusement me poser des questions."

Notamment parce que ce désormais ex-conjoint avait déjà partagé ses photos intimes avec d'autres personnes. "Il m'avait montré nue à son meilleur ami sans mon accord, sans jamais même me le demander, parce qu'il voulait lui proposer un plan à trois. Je pense qu'il en a montré à d'autres personnes aussi. Alors pourquoi pas à cet homme-là aussi ?"

Jusqu'à 2 ans de prison encourus

Si ni leur âge ni les situations n'étaient les mêmes, Faustine comme Laetitia ont toutes deux été victimes de ce qu'on appelle le "revenge porn", ou pornodivulgation, à savoir la publication ou diffusion de contenu à caractère sexuel d'une personne sans son consentement, avec le plus souvent l'objectif de se venger ou de l'humilier.

Un délit pour lequel le code pénal prévoit jusqu'à 2 ans de prison et 60.000 euros d'amende, et pour lequel 201 condamnations ont été prononcées en 2019, 177 en 2020 (données provisoires ministère de la Justice). Le chantage à la diffusion de ces photos et vidéos, ou "sextorsion", s'il est mis en œuvre, est lui puni de 7 ans d'emprisonnement et 100.000 euros d'amende. Les peines prononcées pour ces types de délits restent pour autant habituellement moindres.

Ni Faustine ni Laetitia n'ont fait le choix de porter l'affaire en justice, préférant, tant que possible, l'enfouir pour tenter de mieux l'oublier.

Mais encore aujourd'hui, toutes deux témoignent d'un vrai choc, et d'une même impression de "viol" de leur intimité. Pour l'une comme pour l'autre, il s'agissait de plus de leurs premiers "nudes", leurs premières photos et vidéos dénudées. "On se sent trahie, on se sent sale, on se sent très honteuse, aussi, soupire Laetitia. On a l'impression que c'est notre faute, qu'on a tout foutu en l'air, et les gens vous font plus ou moins comprendre la même chose, aussi."

On se sent trahie, on se sent sale, on se sent très honteuse, aussi.

Laetitia, victime de "revenge porn"

Pour la jeune femme, la situation a été d'autant plus compliquée que ses images privées ont fuité en dehors même de son établissement scolaire, et sont remontées jusqu'à son plus proche cercle familial. "Ma grand-mère les a vue. Je ne savais même plus dans quel état me mettre. L'année qui a suivie a été très compliquée. Encore aujourd'hui, je ne sais pas exactement combien de personnes m'ont vue comme ça. Mais je sais que certains ne me connaissent qu'à travers de ça."

Faustine a elle eu un peu plus de chance dans son malheur : son maître-chanteur n'a jamais mis ses menaces à exécution. "Mais j'ai eu très peur pendant des mois et des mois. Même aujourd'hui, je ne suis pas complètement rassurée. Ces images, il les a toujours en sa possession, ça, je ne peux pas le changer."

"Tu me quittes, je diffuse, tu m'as trompé, je diffuse"

De plus en plus recensé à échelle nationale, le "revenge porn", et plus généralement les atteintes à la vie privée à caractère sexuel, restent peu abordés en Corse. Contactées, les structures territoriales indiquent ainsi ne pas avoir de remontées particulières sur cette problématique.

Pourtant, les victimes seraient plus nombreuses qu'il n'y paraît. À Ajaccio, cet homme admet avoir reçu à plusieurs reprises des photos et vidéos de jeunes femmes dans le plus simple appareil sans leur consentement. Des images repartagées à grande échelle et à un public de plus en plus large - qui a lui même tendance à les renvoyer à son tour -, de victimes parfois connues de vue ou de nom, et qui voient ainsi toute leur intimité affichée sans pouvoir s'y opposer.

En plaine, cette surveillante d'un collège raconte avoir eu "une dizaine de cas" dans sa carrière, avec souvent le même profil de victime : une jeune fille au sortir d'une relation amoureuse et en mauvais terme avec son ex-compagnon.

Ce n'est pas forcément l'ex-petit copain vexé qui est le plus dangereux, même s'il est l'effet déclencheur autour duquel tout va se créer, mais plutôt tous les autres autour.

Cette autre surveillante de lycée bastiaise renchérit, décrivant un schéma classique "tu me quittes, je diffuse, ou tu m'as trompé, je diffuse, tu t'es remis avec un autre, je diffuse...".

"J'ai eu le cas d'une jeune fille à qui cela est arrivé, et pour laquelle cela a non seulement fait le tour de l'établissement en deux jours, de portable en portable, mais aussi de la ville, et même ailleurs dans l'île, se souvient-elle. Et dans ce cadre, ce n'est pas forcément l'ex-petit copain vexé qui est le plus dangereux, même s'il est l'effet déclencheur autour duquel tout va se créer, mais plutôt tous les autres autour. Les garçons qui vont harceler la jeune fille en l'insultant, les filles qui vont lui dire que c'est bien fait... En prenant en compte que tout est amplifié avec les réseaux sociaux."

"Ils se disent qu'envoyer une photo d'eux nus, ce n'est pas grave"

Comment expliquer ces cas de violations du plus intime de la vie privée, qui seraient de plus en plus fréquents ? L'apparition du téléphone portable, et des réseaux sociaux, notamment ceux misant sur l'instantané, à l'instar de Snapchat ou Instagram, est directement reliée, estime la sexologue clinicienne Sandrine Francisci. 

"Aujourd'hui, on constate des adolescents qui ont grandi avec des nouveaux codes de sexualités, des nouvelles images, et qui se disent qu'envoyer une photo d'eux nus, ce n'est pas grave. Même, à l'inverse, c'est cool, c'est amusant", détaille-t-elle.

Sandrine Francisci analyse "une forme de pression sociale à grandir un peu vite sur ces thématiques là, aussi bien à définir son orientation sexuelle qu'à "tester" de nouvelles choses sexuellement. En prônant une liberté sexuelle, finalement, ils se concentrent sur ce qu'ils voient faire dans le porno, ou ce que les autres disent faire, plutôt que de réfléchir à ce qu'ils veulent vraiment, et s'enferment dans des cases."

Plutôt que de leur dire, ce n'est pas bien, il ne faut pas, on peut plutôt leur dire : est ce que tu es sûr que tu veux mettre ton visage sur la photo ?

Sandrine Francisci, sexologue clinicienne

Elle appelle les parents des adolescents à ne pas chercher à leur interdire cette pratique des "nudes", mais plutôt à mieux les informer sur les risques potentiels qu'elle implique. "Plutôt que de leur dire, ce n'est pas bien, il ne faut pas, on peut plutôt leur dire : est ce que tu es sûr que tu veux mettre ton visage sur la photo ?".

La sexologue clinicienne conseille dans ce cadre les jeunes - et moins jeunes - qui voudraient envoyer des photos d'eux à leur conjoint ou conjointe, ou se filmer ensemble, à faire en sorte "de ne pas laisser visible des signes distinctifs. Visage, tatouage, tout ce qui peut être facilement reconnaissable. De façon à ce que si, malheureusement, la photo ou la vidéo venait à fuiter, ils aient au moins la possibilité de nier être la personne concernée."

(*les prénoms ont été modifiés)

Que faire si l'on est victime ?

Dans tous les cas de "revenge porn", le coupable est celui qui diffuse les photos, et jamais celui qui se trouve dessus. Plusieurs recommandations existent à l'usage des victimes :

  • Faire une capture d'écran pour matérialiser le délit et se rendre auprès d'un commissariat ou d'une gendarmerie pour porter plainte
  • Signaler les contenus aux plateformes concernées
  • Signaler le profil de la personne malveillante sur la plateforme PHAROS
  • Contacter le 3018, numéro dédié

L'ensemble des conseils et informations utiles sont à retrouver en cliquant sur ce lien.

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